Bug au bar
Sous l’appellation de « BAR A QUE », souvenir d’un autographe de vacances anglophone réceptionné par le patron de ce lieu de sous-vie, ils sont quatre murs où résonnent les vestiges d’un flipper, unique rescapé de jeu pour l’ex-jeunesse fréquentant assidument le tripot. Cet ancêtre m’abreuve sans pitié les oreilles par des cliquetis et des rebonds de balles. Néanmoins, le coin est sympa mais je ne sais pas lequel des deux attend l’autre : le temps ou le client qui passent ?
J’aime m’encastrer entre la fenêtre prônant au-dessus du radiateur qui est bien le seul à faire circuler de l’eau dans ce lieu où les fumées de gauloises bleutées ont sculpté avec le temps les crépis muraux depuis des décennies.
Les ronflements irréguliers du tenancier me laissent perplexe sur l’origine de ces derniers que breuvages et gavages situeraient davantage au niveau des intestins plutôt que celui des poumons.
Une jeune serveuse trouée de partout, jean, pull et sans doute mémoire, s’active au sein d’une lourde nonchalance, à vider les cendriers et essuyer les verres.
Comme à l’habitude, j’ai ouvert mon carnet électronique m’autorisant à placer mes mots les uns après les autres en appuyant successivement sur différentes touches. Les dessins réalisés ainsi sur l’écran me font penser à des essaims d’étourneaux se modulant dans des formes difformes et mouvantes pour lesquelles on ne voit plus l’oiseau à l’unité mais dans son ensemble.
Je relis mes dernières phrases écrites.
« La porte du bistrot répond au grincement qu’elle occasionne en s’ouvrant sur la rue. Un client entre, accompagné d’une solide bouffée d’ère vivifiant, à la limite de la glaciation. Il se rapproche de mon coin et me demande s’il peut prendre place à la table voisine.
- Mais je vous en prie monsieur.
Il s’assied à mes côtés et commande un petit ballon de vin rouge. »
Je profite de la présence de la serveuse perforée qui vient satisfaire la demande de mon voisin, pour commander un second café et je retourne à mes écritures.
« Mon voisin, en pourpre transaction entre le verre et son goitre me regarde curieusement.
- Vous arrivez à faire la liaison de votre écran à votre cerveau ?
- Pardon ? lui répondis-je en le regardant sans trop comprendre.
- Vous ne vous noyez pas au milieu de toutes ces touches ?
Je n’ai pas le temps de répondre qu’il me jette le reste du contenu de son verre au visage abreuvant également une belle partie de mon clavier.
N’ayant pas un caractère belliqueux, je referme mon portable, laisse sur la table le montant de mes deux breuvages, service compris, quitte le bar avec mon ordinateur sous le bras et rentre chez moi. »
Il est 7 heure du matin lorsque j’ouvre les yeux en jetant l’un des deux sur le réveil. Je m’étais endormi la tête sur la table de la cuisine, devant mon ordinateur qui avait dû s’éteindre durant mon sommeil.
C’est vrai que j’écris plutôt la nuit. Quand je suis dans mes personnages que j’ai bien du mal à abandonner, il m’arrive parfois de les emmener au-delà de mes rêves alpagiens.
Mais revenons à nos moutons
Ce sont d’ailleurs peut-être les seuls à ne pas dormir sur cette nouvelle.
Je tourne la clé de contact afin de rallumer mon PC pour voir où je me suis arrêté dans mon roman.
Rien . . . Cinq minutes après, toujours rien !
Je suis un peu étonné mais en regardant mon clavier, je découvre que les touches collent un peu comme si un liquide rosâtre était tombé dessus et pourtant, il n’y a aucun verre ni bouteille sur la table de ma cuisine.
Je me rends devant l’évier afin de me passer un peu d’eau sur le visage, sans doute pour me comptabiliser encore une fois dans ce monde, mais également pour faire disparaitre cette sensation de colle sur mes joues et sur mon nez, un peu comme sur le clavier de mon PC qui lui, ne se réveille toujours pas.
Bug au PC ?
Je regarde ma montre qui affiche 8 heure.
Pour confirmer cette réveillation, je vais me rendre en ville prendre un café au BAR A QUE.
Après avoir jeté un dernier coup d’œil sur mon calepin électronique, je quitte l’appartement et descend les quatre étages qui devraient me permettre de revenir les pieds sur terre.
En arrivant devant mon estaminet favori, j’ai un curieux sentiment. Au travers de la vitrine, je vois le tenancier assis derrière son comptoir, les yeux fermés. Tout semble dormir. La jeune serveuse est assise, la tête légèrement penchée en avant comme si son regard déversait des coulées de sommeil pour colmater les déchirures de son pantalon.
Personne ne bouge.
Je regarde la table que j’ai fait mienne depuis le temps où je fréquente ce lieu. Une flaque de couleur rougeâtre semble faire flotter un verre à pied mais de façon latérale.
A la table voisine se trouve un monsieur le regard éteint ou perdu dans ses rêves.
Silence total.
Au vu du peu de client, ce sera sans doute peu de « reset » pour le patron.
Bug au bar ?
Agie, 2016-09-26